Par Bernardin SEBAHIRE
Plusieurs jeunes quittent leurs villages et leurs parents pour poursuivre les études universitaires dans les villes de Bukavu et de Goma. La plupart de ces jeunes proviennent de territoires qui n’offrent pas beaucoup d’opportunités d’apprentissage faute d’infrastructures scolaires et routières. L’insécurité permanente signalée de cette zone ne favorise pas non plus l’investissement dans le domaine de l’éducation universitaire.
La présente réflexion s’intéresse à la partie sud de la province du Sud-Kivu, principalement aux territoires de Fizi et Uvira. En effet, cette partie de la province du Sud-Kivu est caractérisée ces derniers mois par l’activisme des groupes armés locaux et étrangers. On dénombre à ces jours des dizaines de groupes armés dans les moyens et hauts plateaux d’Uvira et de Fizi. Dans une édition du journal parlé, la radio Okapi, une radio des Nations Unies présente en RDC depuis 2002, revient sur la situation sécuritaire dans cette région en ces termes : « En 2017, la zone replonge dans la turbulence. Chaque communauté fait recours aux armes pour trouver des solutions au problème identitaire, à la gestion de terre et de redevance pour les pâturages ainsi que la gestion des ressources locales notamment les taxes au marché des vaches. Dans ce bras de fer, chaque communauté recourt à un groupe armé pour défendre ses intérêts. Parmi les plus virulents, l’on cite Biloze bishambuke, Mulumba, Yakutumba, Gumino, Twirwaneho, etc, des groupes dont la signification dans les langues locales est de fois porteur de messages d’extrémisme. Certains parmi ces groupes font des coalitions avec des groupes armés étrangers d’origine burundaise et rwandaise comme le FNL, FOREBU, CNRD et FDLR ».[1]
Comme on peut s’en douter, dans cette mobilisation meurtrière, les jeunes sont les plus sollicités par des « tireurs de ficelles » comme on dit en RDC. Mais quelques jeunes ont pu échapper à cette logique belliqueuse. Ces derniers ont eu la grâce de quitter cette zone pour raison d’études universitaires. Des centaines d’étudiants sont inscrits dans les universités publiques de Bukavu. Plusieurs kilomètres les séparent de parents et de la famille. Malgré la distance qui les séparent de leur terroir, ces jeunes restent en contact avec leurs parents grâce au numérique et la radio. Pour accéder aux frais académiques lesquels sont pris en charge à 100% par les parents, l’étudiant recourt à la monnaie électronique (MPSA, Airtel money,…).
Le numérique au service du désenclavement et de la cohabitation pacifique
Alexis, est un jeune étudiant de la communauté Banyamulenge. Il frôle les 25 ans d’âge. Il est en troisième année de graduat dans une université de Bukavu. Son village est à plus de 300 km de Bukavu. Malgré cette distance, Alexis est connecté à sa famille grâce au réseau vodacom. Ces derniers mois, les nouvelles en provenance de son village sont tristes : sa famille est déplacée dans un camp sécurisé par les casques bleus de l’ONU (Monusco). Cette situation arrive au moment où les examens du premier semestre sont programmés à l’université. Je dois payer les frais de participations aux examens. Comment le faire ? Mes parents qui pourvoient à ce besoin sont déplacés et tout le bétail a été pillé par des rebelles. L’économie de ma famille étant basée sur l’élevage. Imaginez-vous la suite ! En décembre 2020, mon père a perdu 25 vaches et quarante chèvres ; il n’a plus aucune ressource. Mon père est éleveur et ma mère est agricultrice. Au moment je vous parle, ma famille est dans un camp des déplacés depuis décembre 2020. Dans ce chao, le numérique reste incontournable. Sur le plan para- académique, Alexis a choisi de vendre des crédits de téléphone afin de subvenir à certains besoins. Il fournit les cartes du réseau MTN à ses collègues étudiants car dit-il, des mégas pour les réseaux airtel et vodacom coûtent chers et la connexion est instable. Le bénéfice généré par cette vente permet à Alexis de se procurer à son tour des crédits d’appel vodacom pour atteindre sa famille car dans cette région, il n’y a qu’un seul réseau, vodacom.
Coïncidence heureuse !
Alexis occupe la chambre n°160 et Trésor vit au n°161. Tous deux sont dans la même classe et originaire du territoire de Fizi. Le premier est de la communauté Banyamulenge et le second est de la tribu Babembe.
Trésor est né en 1977, dans un camp des réfugiés en Tanzanie. Trésor est retourné à Baraka en 2008. Trésor est en troisième de graduat dans une université publique de Bukavu. Pour entrer en contact avec ses parents, Trésor utilise le téléphone mobile. Il charge des crédits forfaits et au retour, les parents lui envoient de l’argent par MPSA.
C’est à travers le téléphone que Trésor a appris que parmi ses camarades d’écoles secondaires restés à Baraka, certains sont mariés et d’autres ont rejoint le groupe armé Yakutumba. « On échange avec eux sur Facebook. Je me suis retrouvé parmi les rares jeunes qui ont continué avec les études. A travers les échanges de nouvelles, les anciens camarades regrettent d’avoir choisi la voie des armes et m’encouragent dans mes études. Un autre fait à signaler est qu’ Alexis est un ami avec qui je partage l’auditoire mais aussi la vie académique en général. C’est mon voisin à l’internat (campus). Une fois, je suis rentré à Baraka pour les vacances. Sur mon téléphone portable était affichée la photo de mon voisin Alexis. Par hasard, mon père a vu la photo d’Alexis. Aussitôt, mon père a réagi en me demandant qui était ce jeune homme. J’ai lui ai répondu que c’est mon collègue d’université et voisin de la communauté Banyamulenge. Mon père a tout de suite réagi en montrant qu’il n’était pas d’accord avec cette relation avec Alexis. Mon père a commencé à évoquer des histoires de haine et qui opposent depuis des décennies les populations Babembe et Banyamulenge. Face à ce discours identitaire, j’ai répondu à mon père que le monde évolue et que nous les jeunes, avons une autre perception de la vie. Alexis et moi, sommes amis et frères et formons désormais une même famille. Il est aussi mon frère, ai-je insisté !
En République démocratique du Congo, les services mobiles connectent 31% de la population et présentent d’importants avantages sociaux et économiques. Une pénétration mobile et une utilisation croissante des services mobiles stimulent l’inclusion numérique et permettent à de nombreux Congolais de bénéficier des échanges d’informations à des fins aussi bien familiales que sociales. Cela contribue également à une meilleure productivité et peut améliorer la cohésion et la participation sociale, l’accès à l’éducation et aux services publics.
[1] Radiookapi.net