Jeunes ruraux et le numérique en RDC

Par Bernardin SEBAHIRE

Chercheur à l’ISDR/Bukavu

La cité de Sange figure parmi les entités territoriales décentralisées érigées en commune rurale par la promulgation de l’arrêté ministériel de 2013. Plus de cinq ans après cette décision, le statut administratif de Sange reste ambigu. Cette cité compte environ 70 mille personnes dont la majorité est constituée de jeunes. Ces derniers sont pour la plupart désœuvrés faute d’emplois. Toutefois, certains jeunes ne désarment pas et prennent des initiatives pour leur autonomisation.

L’expérience du jeune Kado Leo a retenu notre attention. Il est à la fois élève et agent de la société de télécommunication airtel : «Je combine les études avec mon job de revendeur de crédits de téléphone. A côté de cette activité, je dispose d’un publiphone avec un dispositif de charge des téléphones car la cité n’est pas desservie en électricité. Ces activités combinées me permettent ainsi de payer mes études ; le téléphone mobile nous facilite dans la communication et le transfert d’argent ».

Enseigner l’informatique en milieu rural

Stanislas a 34 ans, il est enseignant d’informatique au complexe scolaire la Grâce. Il parle de son expérience : « Dans ce milieu rural par rapport à ce cours d’informatique, il y a beaucoup de défis. La pratique est presqu’inexistante faute d’équipements informatiques pour les élèves. A cette difficulté, s’ajoute le problème d’énergie électrique suffisante qui répondrait aux machines. L’école ne dispose d’aucun ordinateur ; pour mon cours, je recours à un ordinateur privé et ce dernier ne répond pas aux besoins de nos élèves. J’enseigne le cours d’informatique dans toutes les classes. Les élèves n’ont pas accès à la machine par conséquent, ils sont incapables de lier la théorie apprise et la pratique. Sur 45 élèves dans une classe, les notions sur la manipulation du clavier prennent des semaines à cause de la carence d’ordinateurs. L’apprentissage sur l’unique ordinateur pour une classe de 45 élèves, à raison de 50 minutes de séance de cours, est utopique. C’est vraiment compliqué ».

Pendant ce temps, l’accès au téléphone androïde reste encore limité auprès de jeunes. La majorité des élèves n’ont pas de moyens pour se procurer des téléphones avec de grandes applications. La connexion Internet pose aussi problème. Chaque utilisateur se procure des mégas à partir de son téléphone moyennant un coût élevé. Dans toute la cité, aucun service public n’offre l’accès à la connexion internet. En plus des crédits pour approvisionner le téléphone, l’utilisateur recourt au publiphone pour alimenter l’appareil en énergie électrique. Le coût de la charge revient à 200 francs congolais.

Le numérique reste incontournable !

Malgré les défis liés à l’accès au numérique en milieu rural, les jeunes ne désarment pas. Faradja a étudié à l’Université de Lubumbashi. Licencié en Relations internationales, Faradja combine l’enseignement et l’administration locale. Il est aussi chef de cité adjoint de Sange. Dans l’exercice de ses fonctions, les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont d’un apport précieux mais parfois inaccessible.

« Il est vrai que les deux fonctions sont difficiles à concilier mais dans ce monde où l’informatique s’impose, c’est difficile car on a du mal à accéder au réseau Internet et cela pose des problèmes. Si on n’avait facilement accès à l’internet, je crois que  combiner les deux tâches n’allait pas être difficile. Les choses sont difficiles ; avec la conjoncture de notre pays et de notre milieu aussi où accéder à Internet exige des moyens ; j’ai enseigné l’informatique, il y a deux ans mais jusqu’aujourd’hui, les choses n’ont pas encore changé et les défis auxquels on faisait face étaient liés à celui d’accès à Internet. Le réseau Internet est inexistant sauf par téléphone ».

Le rôle du numérique dans une cité en proie à l’insécurité

Comme autorité administrative de Sange, Faradja plaide pour une installation Internet au bureau de la cité. Dans ce monde modernisé, on devrait avoir un équipement bien adapté pour accéder à l’information à temps réel. Néanmoins, nous recourons au téléphone pour interagir avec les autorités municipales et provinciales. Cette communication coûte cher et le réseau est instable. La RDC ne peut pas décoller sans une fourniture du réseau informatique fiable et stable et avec du matériel et cela doit commencer par les services étatiques, insiste Faradja.

Les travaux de l’atelier de réflexion sur le programme de transformation numérique de la RDC à l’horizon 2023 ; travaux lancés le mercredi 23 juin 2021 à Kinshasa par le premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge devraient constituer la solution qui peut permettre à la RDC d’atteindre les objectifs de son développement.

«Le gouvernement de la République, s’est engagé sur le chemin de la croissance et du développement. C’est pourquoi j’ai inscrit le numérique comme l’un des axes majeurs du programme du gouvernement qui a été présenté devant la représentation nationale. Lors de la présentation de ce programme, j’ai insisté sur le fait qu’il est nécessaire de transformer le programme national du numérique en axe pratique de l’action gouvernementale. Cet atelier est la concrétisation de cet engagement. Le diagnostic établi, les contraintes rencontrées, ainsi que les expériences d’autres pays, nous ont convaincus que le numérique peut et doit constituer aussi mieux la solution qui peut permettre à notre pays d’atteindre ces objectifs de développement», a soutenu Sama Lukonde.

A.S