En plus du fait que la Block Chain fait objet de vifs débats, et qu’elle est présentée comme une technologie majeure de notre temps, elle pourrait aussi être une opportunité pour l’agriculture en Afrique mais à condition de résoudre certains problèmes qui en constituent des obstacles. Revenons une nouvelle fois sur la définition de la block Chain.
La block Chain ou chaine de blocks est un registre numérique de transactions qui est partagée par ceux qui font partie du réseau, donc décentralisé (aucun centre ne contrôle à lui tout seul le réseau) et dans lequel toutes les transactions sont conservées de manière très sûre, vérifiable et permanente.
Pour faire simple, selon Jean-Paul Delahaye, professeur en informatique à l’université de Lille, il faut penser à un grand cahier que tout le monde, connecté au réseau, peut lire librement et gratuitement, sur lequel tout le monde peut écrire, mais qui est impossible à effacer et indestructible.
En d’autres mots, chaque élément partagé contient les éléments nécessaires à garantir l’intégrité des données échangées faisant alors du système lui-même l’entièreté de confiance. Plusieurs journaux sont élogieux pour la block Chain. Le très influent magazine britannique, the Economist la surnomme la « Trust Machine », machine à inspirer de la confiance.
Dans le secteur agricole donc, la technologie de block Chain ouvre de nombreuses portes en terme d’application. Le premier atout important pour la block Chain en matière alimentaire est la traçabilité. Ceci confirme en quelque sorte l’amélioration de la transparence au niveau de toute la chaîne alimentaire.
Du financement des agriculteurs à la distribution des produits alimentaires chez les consommateurs, la block Chain assure la transparence et la traçabilité. L’on parle déjà de 31 milliards des économies à réaliser au niveau mondial, en matière de fraude alimentaire, en 2024, avec le suivi des produits de la chaîne d’approvisionnement. Inutile de souligner que ces fonds pourraient être réinvestis dans le domaine agricole en vue d’améliorer la production.
C’est ce que les agriculteurs attendent. Notamment en Afrique où ils peinent d’accéder aux financements tout le temps, la majorité d’entre eux restant peu financée ou alors pas financée du tout. Ce défi financier est donc permanent : les agriculteurs doivent présenter des avaliseurs qui, souvent, eux aussi ont besoin d’argent et touchent des commissions sur ces fonds encore bien limités.
Les banques prêtent de l’argent à ceux qui n’en ont pas besoin comme on dit. On ne prête qu’aux riches. Donc les agriculteurs sont obligés de produire des garanties pour avoir droit au crédit et le plus souvent les producteurs agricoles n’ont pas de sous. En plus ils n’ont pas de propriétés immobilières qu’ils peuvent donner comme garantie. Les banques ne sont jamais certaines de recouvrer leur argent auprès des agriculteurs, rien n’est sûr et donc cette incertitude complique davantage l’obtention des prêts ou d’autres formes de financement pour les agriculteurs. La block Chain va –t-elle permettre de résoudre ce problème constant des agriculteurs ?
Pas de suite en tout cas. Si les agriculteurs sont subventionnés en Europe, ils sont totalement abandonnés à eux même sur d’autres parties de la planète notamment en Afrique. L’agriculteur africain produit peu pour se nourrir et nourrir sa famille. La block Chain n’a pas encore permis d’ouvrir de grandes possibilités financières aux producteurs agricoles africains.
Mais l’application agri-wallet paraît comme un début. Agri-Wallet est un portefeuille électronique. Il s’agit d’un outil financier mobile fait pour le secteur de l’agriculture. Ce portefeuille permet aux agriculteurs d’acquérir un compte professionnel. Et ces derniers peuvent alors l’utiliser pour épargner, faire des achats et faire encore le plus important : gagner de l’argent.
L’ouverture du compte agri-wallet est gratuite par des agriculteurs. Ils peuvent se faire payer par M-Pesa quand ils vendent leurs produits. M-Pesa étant un système kenyan de paiement par téléphone mobile. Ou alors ils peuvent aussi se choisir d’être payés par des jetons (pour une partie de la somme) qu’ils utilisent alors comme avec leur portefeuille électronique.
Dodore, un système fonctionnant comme celui des bons d’achat, valide les marchants d’intrants agricoles. C’est auprès de ces marchands que les jetons peuvent être alloués pour l’achat d’intrants. Les jetons sont donc utilisés pour payer des intrants pour la saison suivante des récoltes. En plus, comme ces crédits sont présentés sous forme de jetons et pas de monnaie, les créanciers sont disposés à accorder des prêts aux agriculteurs.
C’est dans cet « écosystème » de crédits spécifiquement attribués que Agri-wallet permet les agriculteurs à faire des épargnes. Avec de l’argent qu’ils économisent, ils parviennent à avoir accès aux prêts à court terme. A travers Rabobank, les agriculteurs obtiennent donc de l’argent sans devoir à produire des montagnes de paperasses. On estime à 35% actuellement des agriculteurs se servant de ce portefeuille et qui parviennent à faire des économies.
Pour financer Agri-Wallet, le système Dodore a bénéficié de plus grand soutien venant de grandes institutions financières et d’autres organismes de développement. Il s’agit de la fondation Rabobank, le fonds MasterCard, l’Organisation Néerlandaise de développement, le centre international pour le développement des engrais (IFDC), Agriterra et d’autres.
En Afrique, la question de bitcoin est à aborder délicatement. Elle est liée à la block Chain et l’explication de cette technologie peut souvent produire un résultat inverse de celui auquel on s’attend. Au Kenya par exemple, l’explication de l‘histoire de la technologie des bitcoins et de la block Chain ne passe pas. Il est compliqué, voire même impossible de convaincre les acheteurs. La stratégie adoptée a donc été celle de simplifier le concept. Comme les kenyans ont tendance à considérer une « pièce » comme un objet de peu de valeur et encore que le mot « jeton » peut aussi les déstabiliser, il a fallu se concentrer sur des propositions de valeur individuelle et bien entendu sur le M-Pesa.
Et c’est de cette façon là que le concept a pu permettre aux agriculteurs d’avoir une ligne de crédit et ils pouvaient l’utiliser ou non. De toute façon s’ils ne l’utilisaient pas, cela ne leur coûtait rien. Cette méthode fonctionne bien au Kenya, avec les agriculteurs mais aussi avec beaucoup d’artisans qui se trouvent dans le même cas de figure que les producteurs agricoles. C’est ainsi que Dodore donc recommande de s’adapter dans tous les milieux selon l’environnement, les croyances et les habitudes. Il faut absolument changer le jargon, être à l’écoute des clients pour mieux les comprendre et simplifier les choses dans la mesure du possible. La block Chain peut tout bouleverser. En plus de ses percées technologiques, elle doit encore adopter un nouveau jargon, s’intégrer dans des réseaux existants pour fonctionner avec les africains.