Par Bernardin SEBAHIRE
Chercheur
ISDR/Bukavu
L’année 1997 sonne le glas du régime Mobutu et ouvre la brèche aux ambitions expansionnistes des pays voisins de la République Démocratique du Congo. Si l’Etat congolais avait vocation à être une puissance régionale, son affaiblissement, depuis la fin du siècle dernier, a ouvert la voie à tous les appétits, qu’il s’agisse d’intervenants lointains comme la Chine ou de voisins proches d’abord soucieux de leur propre développement (Colette Braeckman, 2022).
RDC : conflits et insécurité structurelle
La situation en RDC, et en particulier des provinces de l’Est (Nord et Sud-Kivu et Ituri), demeure incertaine début 2021. Quelques éléments clés dépeignent un tableau relativement sombre : sur le plan politique, le discours du Président Félix Tshisekedi annonçant ouvertement la rupture avec Joseph Kabila. Le processus de décentralisation, qui constitue une étape fondamentale pour la mise en place d’institutions proches des citoyens, semble dans l’impasse. Sur le plan sécuritaire, une multitude de groupes armés étrangers et congolais contrôlent de larges pans des Kivus et de l’turi et s’affrontent régulièrement entre eux/ ou avec l’armée congolaise.
L’armée congolaise ne constitue pas un corps unifié et discipliné, mais est traversée de réseaux de pouvoir de type mafieux qui s’avèrent incapable de défendre l’intégrité territoriale du pays ni de protéger les populations civiles. La MONUSCO se montre elle aussi limitée dans son mandat de protection des populations civiles. En juin 2022, la cité de Bunagana est tombée aux mains d’un groupe rebelle soutenu par le Rwanda et l’Ouganda avec une facilité déconcertante, concourant à une nouvelle escalade régionale de la violence qui rappelle le fantôme de la « première guerre mondiale africaine » qui a déchiré le Congo de 1998 à 2003 (International Alert, septembre 2021).
Les conséquences de cette guerre sur la sécurité et les mouvements de populations sont multiples. Dès le début des années 1990 et en particulier à partir de 1994, les vagues de déplacements de populations congolaises ont concerné essentiellement les populations Tutsi des provinces du Nord et du Sud-Kivu. A partir de la fin des années 1980, et au début de la décennie 1990, sous le double effet du renforcement de la stigmatisation des Tutsi congolais et de la montée en puissance de la rébellion rwandaise du FPR en Ouganda, de nombreux jeunes Tutsi ont quitté le Kivu pour rejoindre les rangs du FPR et faire tomber le régime rwandais d’Habyarimana. Lorsque le FPR a mis un terme au génocide au Rwanda et que près de deux millions de réfugiés Hutu rwandais sont entrés au Congo, parmi lesquels de nombreux génocidaires armés, l’idéologie anti-Tutsi a gagné du terrain au Kivu et provoqué l’exil de nombreux autres Tutsi congolais vers le Rwanda.
En 1996, avec l’entrée de l’Alliance des Forces De Libération (AFDL) et la destruction des camps de réfugiés Hutu du Kivu, ce sont cette fois des membres des communautés non-rwandophones du Kivu qui ont quitté en grand nombre le Congo pour la Tanzanie et le Burundi, percevant les soutiens rwandais de l’AFDL, comme une menace directe à leur existence et leurs intérêts.
En 1998, lorsque la rébellion du Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) a éclaté, ce sont à nouveau des membres des communautés non-rwandophones qui ont fui une rébellion téléguidée par le Rwanda. Avec la montée en puissance des groupes Mayi-Mayi s’opposant au RCD, des membres des communautés rwandophones ont également pris l’exil. De 1998 à 2003, toutes les communautés ethniques congolaises ont été touchées par les violences et tenté de fuir vers les pays voisins, avec une prédominance pour la Tanzanie et le Burundi pour les membres des communautés non rwandophones, et pour le Rwanda et le Burundi pour les membres des communautés rwandophones.
En mai 2004, lors de la prise de Bukavu par Laurent Nkunda et Jules Mutebusi, tous deux liés au RCD, ce sont les Banyamulenge (Tutsi) du Sud-Kivu qui ont fui vers le Burundi par peur des représailles à leur encontre. Trois mois plus tard, ces réfugiés de Gatumba, en grande partie Banyamulenge, étaient massacrés par des hommes armés.
En 2009-2012, les populations continuaient de fuir les affrontements entre l’armée nationale et les nombreux groupes armés, congolais et étrangers. Il s’agit toutefois essentiellement de déplacements internes au Congo, le nombre de déplacés avoisinant les 2 millions pour les Sud et Nord-Kivu durant cette période. Les principaux affrontements concernent d’une part les opérations initiées contre les rebelles Hutu rwandais des FDLR à partir de 2009, ainsi que les affrontements entre l’armée nationale et le CNDP puis le M23 dans les territoires de Masisi et Rutshuru.
Comportement à l’égard du CNDP et du M23
Raymond Tshibanda Ntungamulongo (ex. Ministre des affaires étrangères en RDC) signera, côté RDC, l’accord du 23 mars 2009 avec le CNDP de Laurent Nkundabatware. Plusieurs clauses de cet Accord allaient pourtant manifestement à l’encontre des intérêts de la RDC. Pour preuve, ses articles 1, 4, 8 et 17.
L’article 1 consacre le CNDP comme parti politique congolais dont les membres peuvent compétir à tous les suffrages. L’article 4 octroie aux Rwandais les territoires congolais de Kasha, Minembwe et Bunyakiri, avec droit d’y installer leurs chefs coutumiers, leur administration et leur police. L’article 8 les autorise d’explorer et d’exploiter les richesses minières du Congo ensemble avec les Congolais et d’en partager les fruits. L’article 17 enjoint au gouvernement congolais de dédommager des militaires ou des familles des militaires rwandais tués ou blessés au combat par des militaires congolais.
Nonobstant l’indignation suscitée par des témoins de l’ONU et de l’UA comme l’ancien président nigérian, Olesegun Obasanjo, Tshibanda apposera tranquillement sa signature. En retour, il restera de longues années à la tête du Ministère des Affaires Etrangères. Il ne sera du tout inquiété pour sa mafia et ses détournements des fonds publics au travers de son fils et de son comptable et sera mis à l’abri de la colère du peuple en étant envoyé comme représentant de la RDC à l’ONU (Kalele-ka-Bila, 2017).
Proposer une « nouvelle vison de la paix »
20ans après la signature des accords de paix de Sun City, qui ont tenté de mettre un terme à sept ans de conflit armé en République démocratique du Congo, les armes n’ont toujours pas cessé de retentir à l’Est du pays. Dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, ainsi que dans celle de l’Ituri, des opérations militaires peinent à démanteler des groupes armés.Malgré la présence de la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), la sécurité reste extrêmement problématique. Les réformes démocratiques se sont à peine concrétisées, les institutions nationales ne s’intéressent guère aux droits des citoyens congolais.
Une approche positive de l’intégration régionale devrait se focaliser sur le développement de relations positives entre la RDC et le Rwanda. Après une période de diplomatie courtoise entre 2019 et 2021, les relations entre les deux pays sont à nouveau tendues depuis l’émergence du groupe rebelle Mouvement du 23 mars (M23), que certains accusent Kigali de soutenir. En plus de l’amélioration des relations entre les deux capitales, priorité doit également être donnée à la consolidation des liens entre les groupes de la société civile de la RDC et du Rwanda afin d’encourager un rapprochement, et même une réconciliation, au niveau régional.