Par Bernardin Sebahire
Chercheur
Enjeux
La situation en République démocratique du Congo est fortement contrastée. D’un côté le pays possède d’innombrables ressources naturelles, comme des minerais, une grande biodiversité, des sources d’énergie renouvelables. De l’autre côté, la richesse par habitant est l’une des plus basses du continent africain. Moins de 7% de la population a accès à l’électricité. Le pays est également à la traine en ce qui concerne les Objectifs du développement durable (ODD).
L’escalade des conflits a plongé la RDC dans une crise humanitaire sans précédent. Les moyens nécessaires pour répondre aux besoins énormes de la population ont plus que doublé en un an. En RDC, les minerais sont associés depuis longtemps aux conflits et aux violations des droits de l’homme. De nombreux rapports de la société civile font état de graves violations des droits de l’homme dans les zones minières partout dans le monde mais en particulier dans la région des Grands Lacs. Néanmoins, l’exploitation minière artisanale et à petite échelle constitue une source majeure d’emplois et pourrait donner des moyens de subsistance aux anciens soldats et aux jeunes démobilisés.
Dans l’Est de la RDC, des efforts considérables ont été déployés pour stabiliser le secteur des 3T (étain, tantale et tungstène), mais il reste beaucoup à faire pour atteindre la majorité des zones minières artisanales encore sous contrôle de groupes armés ou d’éléments incontrôlés de l’armée ou de la police. Le problème majeur reste le secteur de l’or : selon les estimations, moins de 10% de l’or produit artisanalement est actuellement traçable.
Pour rompre le cercle vicieux entre l’accroissement de la demande de minerais et la multiplication des violations des droits de l’homme et des conflits armés, les consommateurs, les entreprises et les gouvernements sont de plus en plus nombreux à soutenir une exploitation et un commerce miniers responsables, de même que des projets en faveur de la traçabilité.
Les gouvernements de la région, dont celui de la RDC, se sont organisés au sein de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et ont élaboré un certificat régional pour l’export de minerais produits de manière responsable. La RDC met en œuvre des directives sur le devoir de diligence dans la chaine d’approvisionnement des minerais. L’approvisionnement responsable est encore une démarche qui relève du volontariat, mais la pression exercée par les consommateurs et la responsabilité sociale des entreprises incitent à en faire une norme plutôt que l’exception.
Défis
Face à ces défis, la blockchain serait une solution contre la fraude minière. Patrice Lwabaguma, acteur de la société civile et expert des questions de ressources minières donne son avis sur le recours au numérique dans ce secteur : « Au sujet de la traçabilité des minerais au Sud-Kivu, je continue à penser que nous n’avons pas réussi le pari. On peut dire qu’il y a des avancées assez significatives au niveau des minerais stannifères mais au niveau de l’or, il y a encore des problèmes sérieux. Jusqu’aujourd’hui, l’or de l’Est de la RDC n’a jamais été tracé, voilà pourquoi chaque jour, on enregistre des fraudes minières en outrance ; voilà pourquoi chaque jour, il y a des conflits liés au manque d’un système de traçabilité. Mais au niveau des 3T, on peut dire que malgré tout, il y a quand même un système de traçabilité qui existe mais malgré tout ça, il y a encore quelques des défis majeurs parce que la traçabilité comme vous le savez, se résume en 3 mots : la production, le transport et la commercialisation. Mais il se pourrait qu’il y ait encore des minerais aujourd’hui qui quittent le puits sans étiquette. Il y a des minerais qui entrent aujourd’hui dans le centre des négoces sans avoir une étiquetés ; il y a des minerais qui quittent ces centres de négoces sans avoir aussi l’étiquette négociant. Tout cela fait qu’il y a beaucoup de stocks de minerais qui ne respectent pas les normes et qui viennent entacher la chaine de traçabilité au niveau de transport et au niveau de la commercialisation. L’idéal serait que les minerais soient identifiés par rapport à un site de production ; les minerais doivent être identifiés par rapport à un centre de négoces ; le minerais doivent être aussi identifiés par rapport à un négociant qui les déclare depuis le centre de négoces jusqu’à une entité de traitement de minerais.
De la numérisation du secteur minier en RDC
A ce propos, Patrick reconnait qu’« avec le contexte sous régional qui est le nôtre, c’est une bonne chose dans la mesure où les minerais produits à l’Est de la RDC seront à la fois bénéfiques aux pays voisins, aux producteurs, tout comme aux consommateurs ; mais dans le contexte dans lequel nous vivons aujourd’hui, je crois que ça présenterait encore des défis majeurs, notamment les défis liés au système de production dans le pays. Vous allez voir par exemple, des pays qui déclarent des quantités des kilos d’or pendant qu’ils n’ont pas de puits d’or. De l’or qui quitte Misisi (Sud-Kivu), qui alimente le Burundi, l’Ouganda et la Tanzanie ; l’or qui quitte tout le Shabunda (Sud-Kivu) et qui alimente le Rwanda par le lac Kivu et beaucoup d’autres minerais stannifères comme le coltan et le wolframite. Alors, si on arrive à numériser le canal de production, le canal de commercialisation et le canal de transport, c’est vrai que les entreprises rwandaises vont dire, nous nous allons à la production pour que nous puissions avoir des quantités à transformer et là, l’entreprise gagnerait, le producteur aussi qu’est la RDC gagnerait et tout autre mécanisme de production et de commercialisation des matières premières doit être mis en jeu parce qu’à ce moment là, nous allons entrer dans la pure forme d’industrialisation des minerais et à ce moment là, les résultats seront partagés, au lieu les minerais partent en fraude. Les défis aujourd’hui de cette numérisation résideraient au niveau de la taxation. Il se peut que s’il y a fraude aujourd’hui à l’Est de la RDC, c’est parce qu’il y a multiplicité des taxes, ainsi le négociant tout comme le comptoir préfère bien évacuer le minerai en fraude parce qu’il va échapper à la chaine pour question de taxation, sans compter le problème d’insécurité, des groupes armés qui pullulent partout en RDC ; donc si on essaye de numériser, on peut aboutir à une sorte de stabilisation à un certain niveau parce qu’à ce moment là, on saura tel minerai a été dans quel site, il a été acheté par tel centre de négoce, le centre de négoce a vendu le minerai avec tel négociant, tel négociant a vendu à telle entité de traitement ou à un comptoir et là, on va suivre carrément la chaine d’approvisionnent ».
Rappelons que depuis l’année 2000, la Rd Congo est embarquée dans une série de réformes du secteur minier. Il y a un projet de réforme en RDC. Ce projet est piloté par la communauté internationale.