RD Congo : la machine à voter, leçons apprises

Par Bernardin Sebahire

Chercheur
En décembre 2018, 22 millions d’électeurs congolais s’étaient rendus aux urnes pour
élire leurs représentants au niveau national et provincial malgré la polémique nourrie
autour de la machine à voter. A deux semaines du scrutin, le parti au pouvoir et
l’opposition n’arrivaient toujours pas à se mettre d’accord sur l’introduction de cette
nouvelle technologie dans le processus électoral. Pendant ce temps, la commission
électorale nationale indépendante, CENI, poursuivait sa campagne de sensibilisation
sur l’utilisation de la machine à voter. Les animateurs de cette institution d’appui à la
démocratie et les associations de la société civile ont multiplié des rencontres auprès
des étudiants, des femmes et autres jeunes afin d’obtenir leur adhésion.


Quid de machines à voter ?


Valentin Lesfauries revèle :
« En ce qui concerne la RDC, des machines à voter ayant des capacités
d’enregistrement des voix et de dépouillement ont été acquises mais le Président de la
CENI a affirmé que seule la fonctionnalité
d’impression des bulletins de vote serait utilisée :
« le vote dont il est question étant bel et bien à bulletins papiers et la machine ne
servant qu’à l’impression in situ du choix de l’électeur sur le bulletin de vote à glisser
dans l’urne sous la même procédure de dépouillement et de compilation que celle
suivie en 2006 et en 2011, conformément à la législation congolaise. » Corneille
Naanga, président de la CENI.


Légalité de la procédure d’acquisition des machines à voter


L’introduction annoncée de machines à voter interroge quant à sa légalité sur deux
points. Tout d’abord, la loi électorale proscrit le recours au vote électronique pour les
élections à venir, en son article 237 ter12. De plus, l’acquisition de ce matériel est
entourée de zones d’ombre, laissant penser à une méconnaissance du cadre juridique
des marchés publics congolais.


En 2014, l’Abbé Appollinaire Malu Malu, ancien président de la CENI-RDC est en
visite à Songdo en Corée du Sud, afin de visiter le siège de l’Association mondiale des
organes de gestion des élections (A-WEB) [Boisselet 2018]13. Ayant en mémoire le
fiasco des élections passées et notamment leurs contestations, il voit dans les
nouvelles technologies appliquées aux élections un moyen d’apaiser le processus. Ce
sera pour lui l’occasion de rencontrer Ken Cho, directeur de l’entreprise Miru
Systems. L’ancien Président de la CENI retournera d’ailleurs plusieurs fois en Corée
du Sud au cours de l’année 2014.


Fin 2015, l’Abbé Malu Malu décède, et Corneille Nangaa lui succède à la tête de la
CENI. Il se dote d’une nouvelle équipe : Norbert Basengezi, député du PPRD, le parti
de Joseph Kabila. Quelques mois plus tard, son fils, Marcellin Mukolo Basengezi, sera nommé par Corneille Nangaa « Conseiller chargé des nouvelles technologies »
auprès de la CENI. De nombreux soupçons pèsent sur ses liens avec Miru Systems
[Muamba 2018] : le conseiller nouvelles technologies a fait une partie de ses études
en Corée du Sud, et des anciens membres de la CENI sont certains de l’avoir vu
participer aux délégations de Miru Systems [Boisselet 2018]. Cependant, Marcellin
Mukolo Basengezi refusant de fournir son curriculum vitae, l’information est
difficilement vérifiable. M. Mukolo Basengezi va participer activement aux
négociations entre la CENI et Miru Systems, jusqu’à fin 2017. C’est un marché de gré
à gré, sans appel d’offre qui sera retenu.


Corneille Nangaa soutient alors que « Nous avons utilisé une procédure certes
exceptionnelle, mais légale, qui a d’ailleurs été validée par le Premier ministre fin
janvier 2018 et inscrite dans les mesures d’application de la loi électorale. Le contrat
final n’a pas encore été signé, mais il n’y a pas de retour en arrière possible »,
invoquant le nécessaire respect du calendrier électoral.


Machine à voter : un pas vers le vote électronique !


Oswald Muhemeri est expert électoral pour avoir fréquenté l’école de formation
électorale en Afrique Centrale (Kinshasa). Il nous partage son expérience :
« En RDC, la loi électorale prévoit deux types de votes : le vote manuel et le vote
électronique. C’est vrai qu’avec le débat qu’on a eu avec la fin du mandat de Joseph
Kabila, on assisté à beaucoup de contradictions sur le choix à prendre et à un
moment donné, la CENI avait évoqué la possibilité de recourir au moyen
électronique pour faciliter les élections étant donné les contraintes de temps et les
contraintes des moyens. La CENI a estimé qu’on pouvait recourir à ce type de vote
mais le législateur à l’époque avait émis des réserves et avait souhaité qu’on
retourne au vote manuel et que le vote électronique soit d’abord suspendu. Le débat
avait évolué et à un moment donné la CENI avait fait des propositions et c’est
comme cela qu’on est tombé sur l’option de la machine à voter ».


Oswald définit la machine à voter comme l’urne électronique. En droit français,
machine à voter signifie urne électronique ou ordinateur de vote. Oswald poursuit en
ces termes : « En RDC, la loi n’a pas encore précisé si l’usage de la machine à voter
est électronique ou pas ; et nous pensons que dans le débat prochain autour de la loi
électorale, il faudra qu’on précise. Il est vrai quand même que tel qu’on a voté, la
CENI avait fait recours à deux types de votes. Elle a utilisé le moyen électronique.
Ainsi, on a amené le lecteur lui-même à produire, à travers la machine, son bulletin
de vote ; et ce bulletin de vote produit servait de trace pour identifier le vote et le
lecteur devait lui-même produire son bulletin et aller le déposer dans l’urne. A ce
niveau là, on peut dire que la CENI a utilisé deux types de moyens : moyen
électronique et moyen manuel. Mais nous pensons que dans le débat prochain, il
sera intéressant que la loi précise si l’usage de la machine à voter est électronique ou
pas. D’une manière générale, la machine à voter a permis l’économie du temps et
des moyens. De ce côté-là, on avait atteint l’objectif parce qu’on a pu organiser les
élections présidentielles, législatives nationales et provinciales, le même jour.


En définitive, la machine à voter a aussi facilité le processus de dépouillement et
dans la production des résultats. Comme toute e nouveauté, la machine à voter n’a
pas fait l’unanimité. Tout être humain, soit-il opposant, du pouvoir ou de la société
civile, a peur du changement, de nouveauté ; la machine à voter, c’était l’actualité, une innovation et ne pouvait que rencontrer de la résistance. Mais je crois avec
l’expérience, comme observateur électoral, les électeurs interrogés ont reconnu que
la machine à voter était un très bon outil de vote. Pour les prochaines élections, il
faudra sensibiliser la population et amener les gens à adhérer et créer la confiance
autour du processus. La fraude n’est pas liée à la machine, la fraude est liée à la
nature humaine », estime Oswald.