Par Bernardin SEBAHIRE
Chercheur au CERPRU
ISDR-Bukavu
Le territoire de Rutshuru est le théâtre d’affrontements entre les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et le mouvement du 23 mars (M23), depuis plus d’un trimestre maintenant. La rébellion du M23 contrôle la cité de Bunagana, à la frontière entre la province du Nord-Kivu, le Rwanda et l’Ouganda. Bunagana est un important centre de commerce et de transit de marchandises, où sont encaissés des milliers de dollars par semaine en taxes et droits de douane. La ligne de front est en effet à proximité, avec les Forces armées de RDC (FARDC) positionnées notamment au pont Rwanguba, à environ 25 km de la frontière.
L’est de la RDC, qui a une frontière commune avec le Rwanda, vit sous la menace quotidienne de dizaines de groupes armés qui se bousculent pour obtenir une part des richesses minérales de la région, que le monde entier exploite pour fabriquer des voitures électriques, des ordinateurs portables et des téléphones mobiles. Le M23, l’un des groupes rebelles les plus notoires, est entré en action cette année et s’est emparé depuis juin 2022 d’une ville commerciale clé dans l’est du Congo.
Quel est le moteur du M23 ?
Le fait que ce mouvement suscite une attention mondiale ne signifie pas que la perspective d’y trouver une solution soit proche. Au cœur de la crise se situe un problème impliquant le Rwanda, les élites locales et le gouvernement de Kinshasa. Depuis 1996, la région autour de Goma-surtout les hauts plateaux de Masisi et de Bwito, où vivent principalement des descendants d’immigrés du Rwanda-est dirigée par des élites qui entretiennent des relations étroites avec le Front patriotique rwandais (FPR) à Kigali. De tels antécédents ont pris les élites locales et leurs circonscriptions dans un écheveau inextricable où se conjuguent intérêts personnels, solidarités ethniques et méfiance à l’égard du gouvernement de Kinshasa. Certes, ce réseau s’affaiblit, mais il est peu probable qu’il disparaisse complètement-ou qu’il modifie sa manière de percevoir Kinshasa.
Plus de 10 ans après le début de la rébellion du M23, aucune solution plausible ne se trouvait sur la table des négociations. Même si en septembre 2012, Kinshasa est discrètement entré en contact avec le M23, des commandants de l’armée congolaise ont continué d’insister sur la nécessité de trouver une solution sur les champs de bataille. Malgré les échecs militaires passés, ils ont envoyé des milliers de troupes dans les Kivus pour préparer une prochaine série de combats. Il est évident que les donateurs internationaux sont peu disposés à renforcer leurs engagements militaires ou à accroitre leurs dépenses pour la consolidation de la paix en RDC (le coût de la MONUSCO atteignant désormais 1,4 milliard dollars par an). Entretemps, le M23 a profité de l’interruption des combats pour forger de nouvelles alliances et former jusqu’à un millier de troupes nouvelles.
Les efforts diplomatiques régionaux-menés essentiellement par l’intermédiaire de la CIRGL-ont porté sur la création d’une force militaire neutre chargée de lancer des opérations offensives contre le M23 et les FDLR. Si les préoccupations sécuritaires sont difficiles à analyser, les intérêts économiques sont encore plus opaques. Les intérêts rwandais dans l’exploitation minière au Congo pendant les guerres qui ont sévi sur la période 1996-2003 ont été bien documentées, et le secteur minier rwandais s’est considérablement développé ces dernières années, représentant en 2011 quelques 164 millions de dollars américains.
Quand la crise actuelle a-t-elle commencé ?
La crise actuelle a éclaté en novembre 2021, lorsque le groupe militant Mouvement du 23 mars (M23), en grande partie disparu, a foudroyé des positions militaires des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) dans les villages de Chanzu et Runyonyi, dans la province du Nord-Kivu, juste à l’ouest des frontières ougandaise et rwandaise. Cela s’est produit le même mois que le déploiement des forces ougandaises dans la province pour poursuivre les Forces démocratiques alliées (ADF), un groupe rebelle ougandais qui opère également au Nord-Kivu et en Ituri. En octobre et novembre 2021, l’Ouganda avait été la cible d’attentats-suicides à la bombe que le président Yoweri Museveni avait imputés aux ADF.
Bunagana : le M23 officialise la balkanisation
Le jeune porte-parole du M23, Willy Ngoma a, depuis Bunagana, déclaré que son réseau a décidé de la réouverture de la frontière entre la province congolaise du Nord-Kivu et le district ougandais de Kisoro. Une nouvelle qui a consterné toute la nation congolaise et permis de comprendre davantage le rôle nocif de l’Ouganda dans l’invasion rwandaise du territoire congolais. Par cette décision d’administrer Bunagana, le M23 officialise la balkanisation rwando-ougandaise de l’Est de la République démocratique du Congo, sous la barbe des Nations unies et de l’Union africaine avec une facilitation finement réglée du Kenya. Les conséquences ne tarderont pas de se faire sentir car, l’accord mettant en place la nouvelle Force régionale met sur le même pied d’égalité la grande RDC et le M23 avec lequel Kinshasa est appelé à dialoguer. Ceci au moment où tous les États agresseurs savent que Kinshasa boudera cette clause suicidaire qui vise une réintégration des forces rebelles au sein de l’armée nationale. Le piège tient sur toute la ligne.
Face à cette situation, certains acteurs de la société civile des provinces du Nord-Kivu et Sud-Kivu ne cessent de réfléchir sur les voies de sortie de la crise. Déo Buuma, est coordinateur de l’organisation Action pour la Paix et la Concorde (APC). Il formule quelques recommandations : « La RD Congo a besoin de construire des stratégies, des systèmes préventifs plutôt que des systèmes réactifs. Quand une rébellion attaque une partie de votre pays, vous devez bouter cette rébellion dehors par une force de feu et il est question que la force de feu soit maintenant suivie par la force diplomatique. On ne commence pas par la force diplomatique pour répondre à une invasion qui vous prend déjà une partie du territoire, c’est paradoxal. Une rébellion doit être matée par une force armée et c’est seulement après qu’on peut faire bouger les axes diplomatiques ».